Comment se situer, en tant qu’Eglise, dans des sociétés en mutation permanente ? Quel impact conserve l’action diaconale et comment le mesurer ? Autant de questions qui ont animé, ce printemps, l’Assemblée générale annuelle d’Eurodiaconia.

C’est du 1er au 4 avril dernier, à Paris, qu’a eu lieu cette rencontre réunissant plus de 60 Eglises et ONG chrétiennes engagées dans le travail social et de santé à travers l’Europe.  Des participantes et participants venus des quatre coins du continent — des pays nordiques aux Balkans, en passant par l’Espagne et la Suisse — ont partagé leurs expériences, leurs succès mais aussi leurs doutes, autour d’un objectif commun : bâtir une société plus juste. Accueillie avec le soutien de la Fédération de l’Entraide Protestante de France, l’Assemblée générale a mêlé temps spirituels, échanges pratiques et débats éthiques.

 « Le thème de cette année, Changer la société, a pris une dimension concrète à travers une question clé : comment évaluer l’impact du travail diaconal autrement qu’en termes économiques ? » , explique Jacqueline Lavoyer qui a représenté Diaconie Suisse à Paris. Car derrière les chiffres, ce sont des vies transformées qu’il s’agit de rendre visibles : une « santé existentielle », un regard qui s’éclaire, une confiance retrouvée.

Un plaidoyer pour une société « post-croissance »

Un des moments forts de l’Assemblée a été l’intervention d’Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains. Il a plaidé pour l’abandon de l’illusion que la croissance économique infinie peut remédier  aux inégalités sociales et aux crises écologiques. Selon lui, au contraire, le (sur)développement a conduit à une flexibilisation extrême du marché du travail, à la précarisation des emplois et à la marchandisation de la vie, engendrant une pauvreté non seulement matérielle, mais aussi sociale et humaine.

Pour répondre à ces défis, un véritable changement de paradigme s’impose : il s’agit de bâtir une société de « post-croissance », fondée sur la qualité de vie, la solidarité et des objectifs inclusifs. Autrement dit, une prospérité sans croissance, qui réconcilie les populations — notamment les plus vulnérables — avec la transition écologique, perçue comme une opportunité plutôt qu’un fardeau. « Ce discours a donné une résonance institutionnelle à un idéal que les Églises portent depuis longtemps : celui d’un développement humain intégral », souligne Jacqueline Lavoyer.

Autre intervention marquante : celle de Mia Nilson, secrétaire générale de Hela Människen, une organisation suédoise de lutte contre la pauvreté, forte de 63 structures locales d’accueil et d’accompagnement. Animations pour tous, vestiaires sociaux, aide à l’insertion, groupes de soutien, hébergement, banques alimentaires : son réseau œuvre précisément à restaurer une « santé existentielle », qu’elle décrit comme la clé de tout. Selon elle, ce qui permet à une personne de se relever, c’est avant tout le regard porté sur elle, la confiance qu’on lui accorde, et l’accueil de ce qu’elle est et veut devenir.

Un échange entre collègues tchèques et autrichiens a également mis en lumière l’importance de distinguer critères économiques et indicateurs de qualité de vie. Dans un contexte de baisse généralisée des aides publiques, répondre aux exigences des financeurs tout en restant fidèle aux besoins réels des personnes est un véritable défi. En Tchéquie, la diaconie a ainsi pris les devants en développant, depuis plusieurs années, ses propres outils d’évaluation. L’objectif : garantir la qualité de ses actions pour elle-même, et non uniquement pour satisfaire les bailleurs de fonds. Une stratégie proactive qui permet de conserver une certaine liberté.

Un défi éthique : l’intelligence artificielle au service de la diaconie

Un atelier a en outre permis d’explorer les enjeux liés à l’introduction de l’intelligence artificielle dans les soins aux personnes âgées. Face à l’augmentation des besoins et au manque de personnel, l’IA est souvent perçue comme une solution miracle. En Allemagne, la diaconie de l’Église évangélique teste actuellement un robot social dans deux établissements pour personnes âgées. Les premiers résultats sont encourageants, notamment auprès de résidents souffrant de troubles cognitifs. Mais ces outils posent des questions essentielles : comment préserver la relation humaine ? Qui garde le contrôle ? Peut-on vraiment déléguer à une machine l’évaluation de l’humain ? Autant de défis qui appellent l’Église à la vigilance et à la réflexion éthique, relève Jacqueline Lavoyer.

Résister, proposer, espérer

Cette Assemblée a réaffirmé une conviction : oser le changement de paradigme signifie refuser de se limiter à des critères économiques, pour affirmer une autre vision de l’humain et de la société. Être une Église résistante, c’est choisir d’évaluer autrement, anticiper les possibles dérives technologiques et porter une espérance concrète, au cœur même de la cité.

Du culte d’ouverture au Foyer de Grenelle de la Mission Populaire Évangélique de France — lieu emblématique où se croisent sans-abri, familles, migrants et personnes âgées — aux méditations ancrées dans l’Évangile, tout a rappelé que la diaconie n’est pas qu’un service social : elle est le signe vivant d’un Royaume de justice et de paix.

Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour l’an prochain à Vienne. D’ici là, Eurodiaconia poursuit son action en réseau, développe de nouvelles plateformes d’échange et soutient les initiatives locales. « Dans un monde en pleine mutation, refuser les évidences et répondre à l’appel de la Vie sous ses multiples formes est un acte de foi et de résistance2, conclut Jacqueline Lavoyer.

https://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Changer_de_boussole-9791020924889-1-1-0-1.html

https://www.eurodiaconia.org/wp-content/uploads/2025/04/2024-Annual-Report_31-03-25.pdf