En collaboration avec l’UNIL, l’aumônerie du CHUV à Lausanne forme depuis plusieurs années des accompagnant.e.s spirituel.l.e.s. Un moyen d’aider les patient.e.s atteint.e.s dans leur santé à retrouver un sens à leur vie. Entretien avec Mario Drouin, responsable de la formation et de l’enseignement.
De quand date cette formation ?
Le CHUV a mis en place dès les années 1980 une formation en accompagnement spirituel en milieu de santé. Depuis, cette formation a évolué en fonction notamment de l’évolution des attentes des patients dans le domaine de spirituel et est devenue en 2017 un certificat d’études avancées (CAS) de qualité universitaire. Elle s’inscrit dans une approche œcuménique et pluridisciplinaire de l’accompagnement spirituel et vise à former sur 18 mois des professionnel.l.e.s à une prise en charge holistique des patient.e.s. Le cursus est proposé par l’aumônerie du CHUV et la Faculté de théologie et de sciences de religions de l’Université de Lausanne (UNIL).
En quoi consiste l’accompagnement spirituel ?
Notre approche est centrée sur l’écoute active de la personne et de ses questions spirituelles ou existentielles. Nous aidons le ou la patient.e en détresse à se remettre en contact avec ses propres ressources spirituelles, quelles que soient ses croyances religieuses et ses origines. Il s’agit de lui permettre de poser des mots et du sens sur ce qu’il lui arrive. Au CHUV, on pense que la dimension spirituelle doit être prise en compte car elle a un impact sur le plan de soins. Et l’inverse est vrai également. L’accompagnement spirituel vise aussi à harmoniser autant que possible le programme des soins et la volonté du malade. Nous sommes souvent face à des situations complexes, avec un grand roulement chez le personnel soignant et des phases de test des traitements qui peuvent faire émerger un sentiment d’insécurité chez les patient.e.s. Par ailleurs, notre travail s’adresse également au personnel soignant.
Dans quelles situations intervenez-vous ?
Nous sommes présents sur la majorité des services et nous intervenons à n’importe quel stade de la maladie. Nous ne sommes plus cantonnés à la fin de vie ou à la mort. Nous accompagnons les personnes qui en ont le plus besoin. La maladie est vécue de manière très personnelle et différente selon les situations et l’âge. Elle peut avoir un impact sur la famille et la personne peut se sentir un poids pour ses proches. Ou elle peut au contraire s’inquiéter pour eux car elle est le pilier de la cellule familiale. Nous travaillons beaucoup sur la notion de transcendance. Comment il est possible de donner du sens à ce qui arrive ?
Quelle est l’importance de la religion ?
Nous préférons parler de spiritualité au sens large, mais la religion est bien entendue inclue dans cette notion. Nous ne demandons jamais au patient quelle est sa confession. Nous voulons qu’il se sente totalement accueilli et respecté dans ses croyances. Si les croyances religieuses du patient sont au cœur de ses préoccupations ou sont des ressources importantes, nous l’accompagnons selon notre compétence. La prise en charge peut répondre également aux éventuelles demandes religieuses (rites, sacrements, gestes significatifs, mise en lien avec une communauté d’appartenance).
Quelle est la particularité de ce cursus ?
Le cursus comprend cinq modules et alterne la théorie, qui reprend essentiellement des éléments d’une formation de base en théologie ou en sciences des religions, et la pratique sur le terrain, avec 40 jours de stage clinique, sur un total de huit semaines. Les étudiant.e.s passent une grande partie du temps seul.e.s avec les patient.e.s. Ils en accompagnent en moyenne 8 par jour. Il s’agit pour eux de de se confronter à la réalité de l’accompagnement spirituel. Il y a également des temps de debriefing et de recueillement, des temps de réflexion en groupe. Une demi-journée par semaine est consacrée à des simulations d’accompagnement spirituel. Enfin, six mois du temps de formation sont consacrés à la rédaction d’un mémoire de 50 pages sur un thème choisi qui validera le module.
A qui s’adresse la formation ?
Elle est ouverte à tout.e professionnel·le de langue française souhaitant exercer le rôle d’accompagnant·e spirituel·le dans un hôpital, un établissement médico-social, en soutien à domicile ou en pratique privée, ainsi que dans d’autres milieux institutionnels (domaines du social, de l’éducation et du milieu carcéral). Nous formons des étudiants venant de Suisse romande, mais également du Tessin, de France ou du Canada. Un grand nombre d’entre eux sont des personnes en reconversion professionnelle qui ont redécouvert l’importance de la spiritualité. Certains ont déjà suivi une formation théologique dans leur jeunesse. Si ce n’est pas le cas, nous leur recommandons d’en suivre une, notamment le Séminaire théologique à Cèdres Formation. Nous comptons bien sûr également un grand nombre de pasteurs, de diacres et maintenant aussi des animateurs d’église qui exercent un travail d’aumônerie et ont besoin d’une formation à l’écoute dans le cadre de leur profession.
Quels sont les compétences requises pour ce travail ?
Le plus important est d’être capable de se décentrer de ses propres croyances afin de pouvoir entrer dans le monde de l’autre. Il s’agit de prendre conscience que les ressources qui nous ont aidé dans notre vie ne fonctionneront pas forcément pour les autres. A un homme qui doit se faire amputer d’une jambe et qui ne sait pas comment réagir, on donnera des exemples d’autres personnes qui ont développé certaines ressources. Je pense que l’être humain développe des capacités selon les besoins auxquels il est confrontés. Il s’agit aussi de donner aux personnes la possibilité de partager ce qu’elles vivent.
Comment évolue la formation ?
Nous ouvrons dès le mois de septembre la formation à un autre type d’accompagnement spécialisé pour les personnes travaillant en EMS. Dans ce cadre, la prise en charge s’effectue sur un plus long terme et doit s’adapter aux pertes cognitives des résident.e.s. Ici, le modèle d’accompagnement spirituel basé sur la parole est interrogé. Comment en effet entrer en relation avec une personne de 92 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui affirme par exemple avoir reçu récemment la visite de sa mère ? Comment intervenir et être là pour elle ? Nous partons du principe que la dimension spirituelle est toujours présente et que l’accompagnement est significatif pour la personne.
Quels sont les enjeux actuels ?
Les attentes des patients dans le domaine spirituel ont beaucoup changé ces dernières années, faisant évoluer l’accompagnement spirituel qui prend une place plus importante aux côtés des équipes médicales et soignantes. On passe de l’aumônier traditionnel à l’accompagnant spirituel, un métier qui reste ancré dans la spiritualité. A mon avis, la formation va certainement devenir professionnalisante, mais j’ignore encore quelle forme elle prendra. On sait aussi que les Eglises sont en train de modifier leur cursus académique. Une réflexion est en cours.