Genève : Au temple des Pâquis à Genève toutes les barrières sociales sont effacées
Transformé par la volonté de l’Église protestante, le temple des Pâquis à Genève est devenu le lieu d’«Espace solidaire Pâquis» et accueille plus de 180 personnes en situation de précarité par jour.
Par Caroline Amberger, ProtestInfo
«Ceux qui viennent ici sont des passants. Nos portes sont ouvertes et nous ne posons aucune question», souffle Philippe Leu, pasteur responsable d’Évangile et travail, un ministère de l’Église protestante de Genève (EPG) au service des plus démunis. Flanqué au cœur du légendaire quartier des Pâquis, au 49 rue de Berne, quartier général de la gente tarifée, l’édifice se situe entre une école, des dealers, des bistrots, et de nombreuses échoppes alimentaires.
Dès le seuil de la porte la surprise est de taille, le temple n’est pas vide! Le matin de notre passage, une trentaine de personnes participent assidûment au cours de français. Répartis sur deux bureaux ouverts, ce sont des bénévoles qui assurent les enseignements. Pas de devoirs ni de tests notés, «ce sont des ateliers et non des cours académiques», précise le pasteur.
«Nos passants peuvent être sollicités à tout moment. Un appel pour quelques heures de travail, il faut répondre «oui» et partir tout de suite. A partir de cette réalité ce sont les enseignants qui s’adaptent». Au fond de l’église, c’est un espace internet qui offre la possibilité de communiquer avec sa famille ou de surfer sur la toile. Un endroit est dédié aux tâches administratives et permet de rédiger un CV ou d’écrire une lettre de motivation.
« C’est un lieu qui interpelle, ce n’est pas l’Église et pourtant c’est une église »
Philippe Leu
Pasteur responsable d’Évangile et travail
Derrière un grand tableau noir, récupéré dans une école et aménagé sur chevalets roulants, des officiels du canton de Genève en visite ce jour-là découvrent le lieu et se retrouvent aussi studieux que les étudiants du français. Le lieu a gommé les différences sociales, effacé les étiquettes. Tout le monde est à la même enseigne, celle du partage et de «la rencontre improbable», un des trois piliers philosophiques de la maison avec l’accueil et l’ouverture.
Une précarité qui ne diminue pas
Qui sont ces passants? «Si vraiment il fallait faire des catégorisations, explique Philippe Leu, je dirais qu’il y a cinq types de profils: les roms, les migrants économiques que l’on peut aussi appelé les expatriés, les demandeurs d’asiles, les personnes en situation de précarité et enfin les touristes, ou les gens du quartier qui viennent parfois prendre un café pour voir du monde. C’est du bouche à oreille, ils savent qu’il y a un lieu où ils peuvent apprendre et ils viennent».
L’Église ouverte, autre association présente à l’Espace solidaire Pâquis offre tous les samedis un repas à environ 180 personnes. «Le problème à Genève n’est pas la nourriture. Plusieurs réseaux assurent l’approvisionnement des personnes en situation de précarité. La vraie difficulté de cette ville, c’est le logement. Par année, nous dénombrons environ 58 000 passages».
Un chiffre qui laisse songeur. Toujours trop élevé en terme de précarité humaine mais représentatif de la diaconie qui se définit par «être ensemble avec l’autre». «C’est un lieu qui interpelle, ce n’est pas l’Église et pourtant c’est une église», admet Philippe Leu. «Mais c’est un endroit extraordinaire parce que c’est le monde qui vient a soi. Et cela continue de m’interroger sur des questions théologiques».
Des consultations juridiques
Une permanence juridique est à disposition deux fois par semaine et offre ses services sur toutes les questions liées au droit du travail des étrangers. Sur rendez-vous, ce sont des jeunes universitaires qui donnent de leur temps. Mirna Quisbert, ancienne passante au temple, en situation de précarité a créé il y a sept ans le journal des passants. Depuis elle est devenue avocate et vit à Cordoue. Mais elle continue chaque mois d’envoyer un éditorial. Ce périodique «Entre Dos Mundos» est un lieu d’expression qui permet de rendre visible la réalité des migrants. Le journal est mis en ligne chaque mois et est également imprimé.
Ce sont les initiatives improbables, les envies et l’enthousiasme de chacun qui peuvent prendre vie, et rendent finalement le lieu bien plus organisé qu’il n’en a l’air. Il y a le coin pause café, qui regroupe et offre encore la possibilité d’échanger simplement. «Ce sont nos dons qui financent la marchandise, il y a des jours ou du café il n’y en a plus. Mais personne ne râle, c’est la vie de ce lieu», explique le pasteur. «Dans les années 2000 il y a eu un processus de régionalisation sur l’ensemble de L’EPG, Christian Garin pasteur alors responsable d’Evangile et travail avait lancé l’idée d’un temple ouvert et c’est depuis devenu une mission urbaine. Des habitants des Pâquis souhaitaient aussi changer l’image du lieu, associé au crime et à la drogue. Ce sont toutes ces rencontres entre des gens non issus de l’Église qu’est né l’Espace solidaire Pâquis en 2009».