De la difficulté d’être parents
Face au manque de structures d’accueil pour les enfants, plusieurs paroisses ont initié leurs propres projets. Mais elles ont aussi développé une véritable écoute pour les parents. Par Camille Andrès, ProtestInfo
Comme tous les mardis après-midi, la grande salle colorée du Foyer paroissial de Penthalaz (VD) résonne des voix des enfants venus jouer. Catherine Novet, diacre qui a imaginé cet accueil « Arc-en-ciel », s’active pour préparer de la place … pour les parents. Car autour de petites tables, à l’entrée du jardin d’enfants, ils s’installeront pour discuter. C’était peut-être ça, la plus grande surprise pour Catherine Novet. « Au départ, j’avais de grands idéaux, je me disais que les parents d’aujourd’hui n’ont plus l’occasion de passer beaucoup de temps avec leurs enfants. J’imaginais donc un lieu où ils pourraient se retrouver pour partager. » En fait, beaucoup de parents sont contents de laisser jouer les enfants et de se poser pour « partager leurs joies et soucis d’adultes ». Les habitués de cet espace gratuit et ouvert à tous sont issus d’horizons très différents. « On trouve des femmes au foyer habitant le quartier ou les villages voisins, des familles urbaines récemment installées à la campagne, suisses ou issues de la migration. » C’est la naissance d’un enfant qui déclenche l’invitation aux familles par la paroisse, à condition qu’elles déclarent leur confession à la commune. L’offre s’adresse cependant aux personnes de toute confession, mais elle reste largement méconnue.
Soutien mutuel
On vient d’abord à l’Arc-en-ciel pour échanger des adresses, des contacts, des réseaux, se soutenir les uns les autres. Les discussions s’orientent souvent sur des questions de fond : qu’est-ce que la « malbouffe » pour les enfants? Comment s’en sortir face à une situation de harcèlement au travail? Dialoguer avec un conjoint maltraitant … ? Catherine Novet laisse la parole circuler. « Parfois l’une se lâche sur une situation difficile et les enfants l’entendent. Alors j’interviens, mais toujours sans jugement », assure cette énergique femme d’Église. Si quelqu’un ressent un besoin d’écoute, la diacre peut prévoir un temps dans une salle à part. Mais pour maintenir en parallèle une présence dans l’Espace Arc-en-ciel dans ces cas-là, il lui faudrait faire équipe avec des bénévoles, reconnaît-elle.
Pour le moment, son lieu d’accueil a réussi à trouver sa place entre les crèches et garderies du coin. À trois quarts d’heure de route de là, la paroisse de Genolier (VD) a aussi trouvé ce subtil équilibre. En 2018, y est née « La petite barque ». Ici, des bénévoles déplacent les meubles avant chaque moment d’accueil. Mille francs ont été investis dans l’achat de matériel, principalement de seconde main, et quelques tracts pour faire connaître ce nouvel espace. Pour Éliane Nugues, animatrice et fondatrice du lieu, « l’Église ouvre ici une offre de plus pour toute la population, un service gratuit, offert. L’objectif principal est de rompre une certaine solitude que beaucoup de jeunes parents ressentent ».
Solitude des parents
La solitude des parents, un terme qui revient fréquemment. Deux paroisses ont décidé d’adresser directement cette situation. À Villars-sur-Ollon (VD), un temps d’accueil mensuel a ainsi démarré en janvier dernier. Ici les enfants sont gardés aussi, mais le public cible, ce sont les parents. Ils peuvent « se retrouver autour d’un café et évoquer les thèmes qu’ils souhaitent », explique la pasteure Solange Pellet. Maman elle-même, elle remarque que « les temps passés à se poser, discuter de moi en tant que maman, poser mes questions, sont très importants. Les parents ont besoin d’écoute ». Pour le moment, l’offre est très ouverte : « On construira en fonction des envies », explique cette pasteure qui imagine même des moments dédiés aux grands-parents ou aux parents d’adolescents. La démarche est inspirée, entre autres, par la journaliste et blogueuse chrétienne Hélène Bonhomme, qui a créé la communauté des « Fabuleuses au foyer ».
Culte de la performance parentale
Cette forte personnalité a construit un véritable média qui évoque aussi bien les colères des enfants dans les lieux publics, l’épuisement maternel ou les critiques et injonctions faites aux mères. Et qui trouve une résonance certaine dans les paroisses. C’est toujours elle que citent les fondateurs d’un autre espace d’accueil parental, dans la paroisse de Savigny. Ici, une demi-douzaine de parents se retrouve régulièrement pour méditer, prier, échanger, alors que leurs enfants sont gardés. « C’est un moment qui me fait du bien comme pasteur. On essaye de donner sens aux joies et aux difficultés », explique Benjamin Corbaz, papa et initiateur de la démarche. Des conseils très concrets sont aussi échangés. « Une maman nous a par exemple expliqué prendre un moment avec ses enfants avant le coucher pour leur dire trois ‹bravos› et leur demander trois ‹mercis›. Les gens apportent leur vécu, leurs problèmes, et leurs solutions ! »
À l’instar d’Hélène Bonhomme, Benjamin Corbaz estime qu’« être parent aujourd’hui, c’est souvent ne pas avoir le temps. On a de la peine à partager des moments avec nos enfants. Mais c’est notre société qui a un problème. Les exigences sont très fortes. Dans tous les domaines, il existe un véritable culte de la performance. Il faut être bon parent sinon on a une mauvaise estime de soi. Il y a même des mamans qui regrettent d’avoir eu des enfants ! C’est tabou de pouvoir dire : ‹Je suis débordé, je n’en peux plus.› Il faut un espace pour pouvoir prendre conscience que l’on n’est pas seul : ni dans le groupe ni avec Dieu, qui nous accompagne. Nous voulons offrir ce temps pour souffler, prendre acte, reconnaître tout ça. »
Un accueil chrétien
Ces nouveaux lieux posent aussi la question de savoir ce qu’est une offre « chrétienne » pour les familles. Si, à Savigny, la dimension spirituelle est explicite, elle n’est pas absente pour autant des autres lieux évoqués ici. Le simple fait qu’aucune condition n’est posée à l’accueil est, en soi, un acte de foi. « Nous voulons rejoindre la jeune génération de parents avec leurs enfants et leur témoigner l’amour de Dieu pour chacun, par le fait d’offrir notre accueil inconditionnel, notre temps, notre attention et ce lieu », explique Éliane Nugues à Genolier.
Partout, des questions spirituelles peuvent évidemment être abordées. « L’idée est aussi de parler de la foi en Christ, de l’espérance qui est en lui ou de la spiritualité … S’il y a une demande ou de l’intérêt, donc sans prosélytisme », reprend Eliane Nugues, qui se soucie surtout « d’offrir une écoute respectueuse de chaque personnalité, de ne pas être intrusive ». L’enjeu de tous ces lieux est pour le moment surtout de trouver leur public, leurs bénévoles, leur rythme de croisière, leur financement. Dans tous les cas, le besoin est là, observe Catherine Novet, pour qui de tels espaces « sont nécessaires dans chaque paroisse, voire chaque quartier ».