Quelle posture adopter dans les actions sociales et diaconales ? Comment accueillir les exclus et faire face aux populismes ? C’est le thème d’une rencontre qui a rassemblé cet automne des représentants de la Mission populaire évangélique de France et de la diaconie suisse. Entretien avec Alain Bolle, directeur du Centre social protestant de Genève.

Quels sont vos liens avec la Mission populaire évangélique de France ?

Je connais l’association par ma filiation avec un père engagé au sein de l’Eglise protestante et ayant un lien fort avec la France, puisqu’il était français. J’ai ensuite suivi son action à travers un ancien collaborateur ayant rejoint la « Miss Pop ». Cette association m’a toujours impressionné par son travail d’accompagnement des personnes en situation de fragilité. (Ndlr : créée au lendemain de la Commune de Paris et liée à l’Eglise protestante unie de France, la Mission populaire s’est engagée au départ dans le prosélytisme auprès des ouvriers. Aujourd’hui, elle compte 12 Fraternités en France. Son action s’incarne surtout dans l’action de solidarité de proximité). Le travail de la Miss Pop est de témoigner et d’accompagner. C’est aussi ce que fait le CSP. Nous témoignons de situations que nous estimons inacceptables, et accompagnons et défendons les personnes qui en sont les victimes.

Quel était le but de cette rencontre ?

Une partie importante des échanges a tourné autour du plaidoyer socio-politique. Le CSP a aujourd’hui suffisamment de recul en la matière. Il s’agissait de montrer comment il s’y prend lorsqu’il réalise ce travail auprès des autorités. Généralement, le CSP dérange par ses questions. Mais derrière la protestation, notre association émet toujours des propositions. Il y a d’abord une phase d’observation, puis de documentation, avant de chercher à faire passer la thématique à l’agenda politique jusqu’à ce que le cadre légal soit modifié ou que le débat débouche sur des changements pour les personnes concernées.

Des exemples de votre engagement ?

Il y a notre lutte contre le sans-abrisme. En 2019, avec d’autres associations, nous avons planté 200 tentes sur la plaine de Plainpalais en ville de Genève afin de rendre visible la situation des sans-abris. Idem lors de la crise sanitaire : le CSP s’est fortement mobilisé, avec d’autres acteurs du domaine social, pour la distribution alimentaire en faveur de personnes dans le besoin, lâchées par leurs employeurs, faute de protection légale suffisante. Il y a aussi eu le travail d’accompagnement des travailleurs clandestins qui a notamment débouché sur l’opération Papyrus, visant à régulariser la situation des sans-papiers. Des exemples qui montrent que le CSP a un rôle à jouer dans le plaidoyer socio-politique.

Et quel est le rôle de l’Eglise ?

Je pense que l’Eglise a également sa fonction dans le domaine social. De mon point de vue, la diaconie est toutefois peu visible. On sait que des diacres sont engagés dans les paroisses. Mais au-delà de la frontière de leur communauté, sait-on vraiment ce qu’ils font ? Je ne parle évidemment pas de l’Espace Solidarité de la Servette, qui est une exception à Genève. Un souvenir lumineux que j’ai aussi conservé, c’est lorsqu’en 2019 l’EPG a eu le réflexe incroyable de mettre à disposition des temples inoccupés pour héberger des sans-abris. La responsabilité de l’Eglise sur ces questions de témoignage et de précarité se pose. J’ai le souvenir de Christian Garin qui a créé « Evangile et travail » dans les années 2000. Un pasteur ouvrier qui s’engageait auprès de celles et ceux qui n’allaient pas forcément à l’Eglise et qui permettait de faire le lien avec celles et ceux qui en avaient besoin.

Quelle est la place du CSP dans l’Eglise ?

Le CSP a été une manière pour la diaconie de trouver une place dans l’Eglise protestante avec des actions de terrain. C’est là qu’est née l’association il y a 70 ans, d’une impulsion du pasteur genevois Raynald Martin. Malheureusement, les liens avec l’Eglise se sont distendus, alors que nous entretenons une forte collaboration avec l’Agora (Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile et des réfugiés) et l’Espace Solidarité de la Servette. Aujourd’hui, nous sommes parfois sollicités par les paroisses, mais il y a de fait peu d’échanges avec l’Eglise protestante de Genève, notamment avec sa plateforme solidarité.

Vous fêtez cette année les 70 ans du CSP. Comment l’institution a-t-elle évolué ?

Lorsque je suis arrivé en 2008, le CSP tournait avec un budget de 6,5 millions de francs par année et environ 70 collaborateurs. Aujourd’hui, les effectifs ont doublé et le budget atteindra probablement 15 millions de francs l’an prochain. Nous atteignons les limites de ce qu’il est possible de faire avec une telle structure et nous cherchons maintenant à déléguer nos prestations ou à collaborer avec d’autres associations. Depuis sa création, le CSP a (co-) créé 20 entités, tant dans le domaine du logement et des camps de vacances que du sans-abrisme et de la défense des personnes migrantes. Faisant preuve de créativité, il s’est adapté aux besoins et leur a apporté une réponse professionnelle. Nous sommes aussi actifs dans le domaine de l’endettement, de la réinsertion et de la formation professionnelle. Avec le Vestiaire social, le CSP offre depuis 1956  des vêtements et des chaussures aux personnes confrontées à la grande précarité. Nous collaborons avec Caritas en la matière depuis 2004 et, en 2023, nous avons également accueilli la Croix-Rouge genevoise comme partenaire au sein du Vestiaire social. Cette année, le Service d’assistance aux victimes de traite d’êtres humains du CSP célèbre également ses 10 ans d’engagement. Après toutes ces années, la lutte pour la justice sociale reste inscrite au fronton de notre institution. C’est une question de respect, d’humanité : si l’on dispose de moyens financiers, il est possible de les investir pour soutenir les personnes les plus précarisées de notre société.