Comment adapter les Églises aux mutations du monde religieux et aux transformations sociétales ? Quelles stratégies pour pallier à la pénurie des vocations de pasteur.es et de diacres ? Jean-Christophe Emery, nouveau responsable de la formation initiale des ministres romands, livre quelques pistes de réflexion.

Les Églises réformées ne peuvent que constater certaines réalités ces dernières années : « le monde religieux change à toute vitesse. Le vieillissement des professionnels comme des paroissiens, la pénurie des vocations, ainsi que la difficulté à toucher les jeunes générations, obligent ces institutions à repenser leurs stratégies », explique Jean-Christophe Emery.

Dans le paysage évangélique, souvent perçu comme plus innovant, on observe également un vieillissement des communautés, avec des jeunes qui désertent les Églises où ils ont grandi.
Face à de tels défis, certaines Églises évangéliques créent de nouvelles communautés adaptées à des générations différentes, s’inspirant du modèle entrepreneurial des start-ups.

En revanche, les Églises historiques peinent à intégrer ces codes de communication et à rejoindre les besoins des jeunes générations, handicapées par des structures institutionnelles lourdes, même si chez les catholiques la hiérarchie facilite la prise de décision, relève celui qui est aussi directeur de Cèdres formation, structure rattachée à l’Eglise réformée vaudoise qui dispense le Séminaire de culture théologique aux aspirants à la diaconie.

Des métiers en pleine mutation et des identités professionnelles à redéfinir

La transformation ne touche pas seulement les structures, mais aussi les métiers d’Église. « On assiste à une forme de mutation des rôles traditionnels : pasteurs, diacres et animateurs d’Eglise voient leurs fonctions se recouper, parfois par nécessité face à la pénurie de vocations », relève le formateur. Une porosité s’est installée entre les professions.

Le terme « diacre », autrefois clairement associé à des tâches sociales et caritatives, ne correspond plus à une réalité professionnelle unique. Sur le terrain, les diacres assurent fréquemment les moments liturgiques de la vie chrétienne et célèbrent les services funèbres ainsi que les cultes, tâches autrefois réservées aux membres du corps pastoral.

Les diacres embrassent cette profession souvent au mi-temps de leur vie, opérant un changement de trajectoire avec un autre bagage professionnel, d’autres référentiels et d’autres compétences que les pasteurs qui ont suivi une formation théologique universitaire.
Par ailleurs, la consécration, bien que non sacralisée dans la théologie réformée, reste un marqueur fort de reconnaissance, ce qui crée un hiatus entre la théologie des ministères et la réalité vécue par les professionnels. Non consacrés, les animateurs d’Église, illustrent cette complexité. Et la figure du pasteur n’inspire plus le respect qu’elle suscitait autrefois.

Des tensions internes et une fragilité des professionnels

Les professionnels des ministères font face à des attentes contradictoires : d’un côté, des exigences institutionnelles codifiées (célébrations, accompagnement, catéchèse) ; de l’autre, des aspirations sociales plus larges liées à la spiritualité et au développement personnel. Cette tension engendre un fort taux d’épuisement et une fragilité notable. L’un des enjeux aujourd’hui, est aussi de soutenir ces professionnels pour ne pas qu’ils craquent.
À cela s’ajoute un défi structurel de l’Eglise réformée : les bénévoles, souvent sans formation adéquate, sont investis d’une autorité sur les professionnels. Ne connaissant pas bien ni leur métier, ni les enjeux, ces bénévoles sont en outre souvent partisans, car bénéficiaires des prestations de l’Eglise. Cette situation peut engendrer des tensions profondes avec les ministres, relève encore Jean-Christophe Emery. Et le système institutionnel, parfois perçu comme rigide et peu opérationnel, complique la mise en œuvre d’une politique RH cohérente et adaptée. « Le système induit des dysfonctionnements ».

Vers une diversification des modèles d’Église

L’innovation dans le monde ecclésial ne pourra se faire sans une réinvention des modèles traditionnels, estime le responsable de la formation initiale des ministres romands. Selon lui, la diversité des approches semble inévitable et devrait s’accompagner d’une recherche de souplesse et de créativité pour répondre aux attentes des différentes générations.
Pour les acteurs engagés dans cette transformation, la formation devient un outil clé pour accompagner ces changements profonds qui se préparent par exemple dans l’Eglise vaudoise avec la réduction drastique du nombre de paroisses (de 250 à 25 en une trentaine d’années) , mais aussi avec des réductions analogues à Neuchâtel ou Genève.

Ces changements vont induire la nécessité de savoir travailler en équipe, de favoriser davantage de collégialité également. En refonte profonde, l’Office protestant de la formation s’efforce de mettre en place une plus grande modularité de la formation. Il s’agit aussi d’apprendre aux professionnels de contribuer à la transformation de ces métiers. Précédemment réparti sur 18 mois, le cursus est aujourd’hui réduit à une base annuelle. Un meilleur suivi de l’accompagnement des jeunes professionnels sur le terrain est planifié. La volonté d’intégrer plus clairement les praticiens formateurs – pasteurs et diacres – dans le cursus de formation est également présente, souligne Jean-Christophe Emery. Dans le canton de Vaud la théologie des ministères, dont la nouvelle mouture devrait être stabilisée d’ici fin 2025 ou au printemps 2026, suivra-t-elle ces transformations ? Les animateurs d’Eglise seront-ils consacrés et si oui, faut-il élargir encore le cercle et consacrer aussi les conseillers de paroisse ? Ces questions soulèvent des enjeux importants. L’évolution de la formation illustre les défis les majeurs auxquels sont confrontées les Églises aujourd’hui : redéfinir les ministères, renouveler les vocations, et inventer de nouvelles formes d’Église capables de dialoguer avec un monde en mutation rapide.