L’aumônier remplacé par un spécialiste en soins spirituels ?
Moins confessant et plus professionnel, le domaine de l’accompagnement spiri-tuel en milieu hospitalier vit une profonde mutation. Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a accueilli un symposium sur les enjeux du « spiritual care ».
Le pasteur ou le prêtre parachuté dans un hôpital par son Église fera peut-être bientôt partie de l’histoire. Désormais, l’idée fait son chemin que l’hôpital pourrait charger des spécialistes venant de disciplines telles que la théologie ou les sciences des religions pour faire de l’accompagnement spirituel ou des soins spirituels. Cette évolution se vit un peu partout en occident sous des formes variées. « On en est encore au b-a-ba de cette évolution, mais sentant le vent tourner, le psychiatre Michaël Saraga parle de l’accompagnement spirituel comme de l’un des ‘ouveaux métiers de l’hôpital’ », explique Étienne Rochat, responsable de la plateforme Médecine, spiritualité, soins et société (MS3) du Département de formation et de re-cherche du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Existant depuis un peu plus de trois ans, la plateforme MS3 a été financée pour cinq ans par une fondation privée. Elle devrait être pérennisée par la suite. C’est cette plateforme qui organisait jeudi 18 et vendredi 19 octobre au CHUV le symposium « Spiritual care: enjeux disciplinaires, interprofessionnels et éthiques ». La rencontre entre spécialistes a été précédée d’une soirée ouverte au grand public durant laquelle ont eu lieu une présentation sur la place de la spiritualité dans le champ de la santé à l’ère de la médecine de précision et une table ronde donnant la parole aux patientes et aux patients.
L’hôpital fait une place à la spiritualité
« La demande sociale vis-à-vis de l’hôpital, ça reste de guérir le cancer, plus que de rappeler la finitude et la fragilité de l’humain », reconnaît Étienne Rochat. Avec les avancées de recherche, la médecine n’est-elle pas devenue une entreprise de salut ? « Maintenant que l’ADN va tout résoudre, les histoires de pasteurs qui accom-pagnent les mourants n’intéressent plus grand monde ! », ironise le théologien. Pourtant le monde de l’hôpital offre une place à l’accompagnement spirituel : « Pour un médecin, la spiritualité est un adjuvant aux soins ! Quand un patient jouit d’un bien-être spirituel, il fait moins de dépression, il a une pression plus basse. Son corps fait toutes sortes de choses mieux », résume-t-il.
« La lunette psy voit un certain nombre de choses, mais quand il s’agit de capter l’importance de l’expérience spirituelle au sens large pendant la maladie. On s’aperçoit que c’est une lunette qui a des taches aveugles très importantes », explique Étienne Rochat. Il souligne toutefois : « en milieu médical, la façon de traiter la question spirituelle n’est pas identique suivant que l’on se place du point de vue des médecins, du point de vue des infirmières, des psychologues, des psychiatres ou encore du point de vue des aumôniers. Ce sont des traditions de recherche et des traditions cliniques très différentes. Cela pose très vite des questions épistémo-logiques très compliquées. Si l’institution veut intégrer la prise en charge spirituelle. »
Une pratique plus académique de la relation
Par ailleurs, entre aumôniers les discussions sont parfois difficiles. Ces dernières années, les aumôniers se sont bien acculturés dans les logiques hospitalières, mais si l’on en croit les recherches de George Fitchett, directeur de recherche à l’Université Rush à Chicago, on s’aperçoit que chacune et chacun a développé sa manière d’évaluer la spiritualité. Les échanges entre aumôniers ou avec d’autres professionnels en sont rendus plus difficiles. Il invite donc les professionnels des soins spirituels à se soumettre à la pratique de la publication des cas.
Guy Jobin, professeur de théologie morale et d’éthique à l’Université Laval à Qué-bec abonde dans ce sens : « Oui, on cherche à asseoir nos cadres d’analyses, nos théories, nos gestes sur les données les plus à jour possible et à générer des données de la façon la plus scientifique possible. C’est à comprendre dans un mouve-ment plus vaste en Occident où l’on voit ce phénomène de professionnalisation de l’accompagnement spirituel », explique le chercheur invité à intervenir durant le symposium. « Dans ce domaine, les savoirs sont d’abord des réflexions sur les pratiques en vue d’améliorer l’accompagnement, un peu comme dans le domaine médical on critique les pratiques pour les améliorer constamment », explique-t-il. « Il ne s’agit pas d’injecter de la foi, mais d’accompagner le patient. L’aider à trouver du sens, s’il y a un sens à trouver dans ce qu’il vit. »
Une pratique moins confessionnelle
Cette professionnalisation va donc de pair avec une certaine déconfessionnalisation de la pratique. « Dans un monde qui a changé, dans des institutions complexes que sont les institutions sanitaires, on développe des pratiques qui sont davantage basées sur un accompagnement relationnel et moins sur une série de rites communs. » Au Québec, les services d’accompagnement sont officiellement non confessionnels. « Il n’y a plus d’attaches juridiques ou symboliques aux autorités reli-gieuses et l’appartenance à une Église n’est plus un critère d’embauche. »
Source : ProtestInfo, Joël Burri