Non-recours aux prestations sociales : une étude interpelle les acteurs sociaux
La Haute-École de travail social de Genève (HETS) et la Haute-École de santé de Genève (HEdS) ont présenté début mars 2019 les résultats d’une étude consacrée au non-recours aux prestations sociales par les familles en situation de précarité. Les auteurs présentent un catalogue de onze recommandations dans quatre domaines prioritaires : emploi, santé, formation et procédures administratives. Cette étude a été menée avec Caritas, les services sociaux de la ville et du canton de Genève et le Centre social protestant.
Le but principal de cette recherche était de comprendre le non-recours aux prestations sociales financières à Genève, en donnant la parole aux personnes concernées, les familles en situation de précarité.
Premier constat
Le phénomène, associé à un ensemble de motifs, est complexe. La honte de demander et la stigmatisation des bénéficiaires de prestations financières jouent un rôle important dans le non-recours, renforcé par la prégnance des valeurs d’indépendance et de travail au sein du collectif interviewé.
Système peu lisible
La recherche montre aussi comment un régime de protection sociale peut exclure une partie des populations qu’il vise à intégrer. À force de complexité, le système se révèle peu lisible. Par ailleurs, les récits témoignent de différentes formes « d’exclusion administrative » : la crainte de perdre son permis de séjour ; le sentiment d’une fin de non-recevoir au guichet, les exigences bureaucratiques ou l’expérience d’un manque de respect de la part des professionnel.le.s.
Matériel
« La honte de demander et la stigmatisation des bénéficiaires de prestations financières jouent un rôle important dans le non-recours, renforcé par la prégnance des valeurs d’indépendance et de travail parmi les personnes interrogées dans l’étude.
Les femmes plus touchées
L’étude révèle aussi le caractère genré du non-recours. Des mères en situation de précarité justifient leur distance aux institutions par un manque de pertinence de l’offre, au regard de leur volonté d’améliorer leur statut social et de s’affranchir de toute tutelle masculine.
Précarité et mauvaise santé indissociables
L’enquête montre enfin la santé fragile du collectif de personnes interviewées, pointant la mauvaise santé psychologique des personnes non-recourantes, ses liens avec la précarité de l’emploi ou du statut de séjour et ses implications sur le non-recours aux droits sociaux et sanitaires.
Jeune femme dans la rue © Franco Folin CC
Automatiser l’octroi de prestations
Si le rapport n’est pas un rapport d’évaluation des politiques publiques, il a néanmoins vocation à servir d’interface entre la recherche et l’action. Sur la base des constats posés, les chercheures identifient quatre champs d’action prioritaires et proposent une liste de onze recommandations, parmi lesquelles l’automatisation de l’octroi des prestations, une simplification des procédures et législations, des mesures favorisant l’accès à l’emploi ou une formation des professionnel.le.s du social et de la santé au non-recours.
Simplification administrative et cohérence nécessaires
Dans un plaidoyer rédigé à quatre mains, Caritas Genève et le Centre social protestant (CSP) confirment être confrontées aux problèmes pointés dans le rapport à partir de l’expérience de leurs services. « Au moins une personne sur deux qui aurait droit à des prestations sociales pour s’en sortir n’est soit pas informée de ses droits, soit en détresse en raison des difficultés rencontrées pour les faire valoir ». Les deux associations se disent « heureuses que cette étude approfondie donne la parole aux personnes concernées ». « Dans notre travail de conseil, nous sommes ainsi témoins de détresses profondes et devons aider nos interlocuteurs dans des démarches qui devraient pouvoir être assurées par des services publics à l’écoute de leurs concitoyens ». Caritas et le CSP plaident, notamment, pour une simplification administrative sans réduction des droits sociaux, une plus grande cohérence entre les administrations ou une réflexion approfondie sur les prestations, comme les soutiens aux familles et l’accompagnement à l’insertion professionnelle.
Adéquation aux besoins à questionner
L’Hospice général (note de la rédaction : service social du canton de Genève) met l’accent sur l’adéquation des services aux besoins des usagers. De meilleures synergies et connexions entre organisations qui se connaissent, qui se parlent et travaillent ensemble garantissent un meilleur accès aux prestations sociales, entre autres en assurant un suivi et un accompagnement adaptés des personnes qui peinent à les activer par elles-mêmes. Il est également de la responsabilité de chaque organisation de se questionner en permanence sur l’adéquation entre les besoins des usagers et les réponses qu’elles y apportent. L’Hospice général a initié il y maintenant plusieurs années des démarches de « service design » afin de mieux connaître ces besoins et d’adapter son action en conséquence.
Le vrai scandale n’est pas l’abus mais le non-recours aux prestations sociales
Du côté des institutions politiques, Esther Alder, magistrate en charge de la cohésion sociale et de la solidarité à la Ville de Genève insiste : « De mon point de vue, le vrai scandale, ce ne sont pas les abus à l’aide sociale qui font pourtant les titres des médias, mais bien le non-recours aux prestations sociales mises en place par les différentes collectivités publiques ! » « De nombreuses études prouvent en effet que les économies liées au non-recours n’en sont pas. Les problématiques qui ne sont pas prises en charge de façon précoce ont de grandes probabilités de s’aggraver et de complexifier leur prise en charge future, sans parler de la dignité des personnes qui est mise à mal ». Les services s’orientent donc vers une administration décloisonnée, avec des procédures et des documents simplifiés, traduits (dans une ville multilingue) et non stigmatisants.
Dispositif d’action sociale à rendre plus lisible
Au niveau du Canton, Thierry Apothéloz, conseiller d’État en charge de la cohésion sociale et magistrat de tutelle de l’Hospice général déclare : « Le constat du non-recours aux prestations sociales pour de nombreuses personnes est d’autant plus grave que, tôt ou tard, elles continueront de se fragiliser et bénéficieront de ces prestations, avec un coût proportionnellement plus élevé que si leur accès avait été garanti en amont. Il est temps de repenser l’action de l’État et viser une société où celui-ci tend la main et ne lâche pas celle de ses habitant.e.s ». Une commission constituée en janvier 2019, devra fournira des outils pour rendre le dispositif d’action sociale plus lisible et plus efficace.
Commentaire
Il y a fort à parier que les constats genevois s’appliquent aux autres cantons. Dans une petite ville ou un village, il est d’autant plus difficile de recourir à l’aide social, à cause du contrôle social justement. Tout le monde se connaît, rien n’échappe à personne. Peut-être que l’entraide entre voisins fonctionne mieux, mais elle ne saurait remplacer le recours à des prestations auxquelles on a droit.