« On croit que la question du SIDA est réglée parce qu’on a des traitements, mais ce n’est pas le cas »
Depuis 16 ans, Roselyne Righetti accompagne ceux que la société a abandonnés. À temps plein, cette pasteure exerce son ministère à la Pastorale de la rue, une structure des Églises réformée et catholique vaudoises, qui comprend également le Ministère SIDA dont Roselyne Righetti a la responsabilité. Interview.
Est-ce encore pertinent d’avoir un Ministère SIDA en 2017?
C’est indispensable et ça l’a toujours été. On croit que la question du SIDA est réglée parce qu’on a des traitements, mais ce n’est pas le cas. Il ne faut pas se voiler la face, le SIDA est une maladie qui est mal vue dans la société, une maladie qui touche, comme on dit, des personnes « à risque ». Une définition stigmatisante qui englobe les homosexuels, les personnes du monde de la prostitution, les toxicomanes, les migrants, les prisonniers, car le milieu carcéral n’échappe pas non plus aux « risques » !
Quand un toxicomane, séropositif, se retrouve à la rue à cause d’une série de déboires, toute la vie de cette personne se complique. Non seulement elle ne va plus prendre son traitement régulièrement, mais elle va progressivement s’enfoncer dans l’exclusion et en subir toutes les conséquences.
Quelles sont les activités du Ministère SIDA?
J’accompagne une cinquantaine de personnes concernées par le VIH SIDA et je les rencontre régulièrement. Je m’occupe de ceux qui passent entre les mailles du filet et qui se retrouvent dans la marge de la société. Au niveau de nos activités, elles sont fusionnées avec celles de la Pastorale de la rue. Nous proposons un lieu d’accueil ouvert cinq après-midi par semaine au centre-ville ainsi qu’une célébration tous les dimanches soir à la chapelle de la Maladière. Mon travail consiste surtout à être là pour ces personnes. Je suis en lien avec toutes les structures médico-sociales qui traitent la problématique du SIDA et j’assiste aux rencontres qui concernent les malades, car je suis la plupart du temps, leur seule famille, leur seule proche. Ils ont tous mon numéro de portable et savent qu’ils peuvent m’atteindre n’importe quand. Je suis souvent la dernière personne qui leur permette de faire le lien.
Pouvez-vous me parler de la situation d’une des personnes que vous accompagnez?
J’accompagne depuis des années un toxicomane concerné par le VIH SIDA qui a dû effectuer un séjour au CHUV pour de sérieux problèmes de santé. Récemment, le service de l’hôpital spécialisé dans les maladies infectieuses et avec qui j’ai d’étroits contacts m’a appelée, car ils étaient démunis face aux comportements de ce malade. Il ne prenait plus son traitement et multipliait ses fugues de l’hôpital. Ainsi sa santé s’était péjorée et son moral était au plus bas. Mon rôle de pasteure, dans ce cas comme dans les autres, a été d’assurer une présence sans jugement, une écoute et une disponibilité pour aider la personne à retourner à l’hôpital et à retrouver la confiance en ceux qui la soignent.
Le fait qu’il n’y ait pas de local d’injection à Lausanne, est-ce que cela a un impact sur la transmission du virus ?
Pour le moment, je pense que oui et j’espère que le futur local d’injection permettra une plus grande protection contre la propagation du virus.
Avez-vous remarqué une augmentation du nombre de personnes atteintes ?
Ce nombre a plutôt tendance à augmenter et d’autres problèmes apparaissent en parallèle. Une personne atteinte du VIH SIDA va attraper facilement toutes sortes de maladies. Concernant Lausanne, la promiscuité des gens de la rue, qui dorment à certains moments dehors, à d’autres dans des accueils de nuit, sans pouvoir toujours se laver ni se soigner, augmente la précarité sur tous les plans.
Comment expliquez-vous que la situation a empiré à Lausanne ?
On ne se soucie pas de la saleté et du manque d’hygiène des mendiants, tout comme on accepte que les toilettes de la Riponne soient devenues un « shoot room ». On ne peut bientôt plus entrer dans certains w.c. publics du centre-ville de Lausanne. Pourquoi tolérer cela ? Je ne veux pas faire un procès, ce n’est pas mon rôle, mais je suis là avec ces gens et je constate que leur vie est vraiment difficile.
Qu’est-ce que le système pourrait mettre en place pour aider ces personnes ?
Nous pourrions être plus attentifs et moins excluants. Quand on parle de populations « à risque », on n’est pas en train de parler des risques qu’elles encourent, mais du risque qu’elles représentent pour la société. J’espère une société plus solidaire où les plus pauvres trouvent de l’amitié, du réconfort, une dimension spirituelle qui les aident à vivre et non à survivre. C’est ce que nous vivons chaque dimanche soir à la chapelle de la Maladière, autrefois la chapelle des lépreux, lors du culte où chacun est le bienvenu !
Source : ProtestInfo, Laurence Villoz