Première Université de la solidarité et de la diaconie
Quelque 200 personnes, venues de l’ensemble de la Suisse romande, ont vécu, les 29 et 30 janvier 2019, à Fribourg, la première Université de la solidarité et de la diaconie. Intitulées « Apprenons les uns des autres », ces journées ont permis de riches échanges entre les pauvres, les responsables de services et de mouvements, les agents pastoraux, et les responsables d’Église.
La rencontre, la première de ce type en Suisse romande, visait à répondre à l’appel du pape François, qui ne cesse d’interpeller les chrétiens sur leur solidarité avec les plus pauvres et qui veut « une Église pauvre pour les pauvres ». Organisée par les Services de solidarité et diaconie des diocèses et vicariats catholiques de Suisse romande et le Centre catholique romand de formation en Église (CCRFE), cette université a rassemblé de nombreux acteurs actifs dans la lutte contre la pauvreté. Les personnes les plus précaires y ont également trouvé un espace d’échange et de parole.
« Apprenons les uns des autres »
Cette ‘université’ n’avait rien d’un colloque académique fait d’exposés scientifiques successifs plus ou moins savants. En mettant au centre la parole des plus démunis, elle a ouvert des lieux de partage pour tous les participants sans aucune distinction. « La vie et l’œuvre de Jésus sont essentiellement tissées de rencontres souvent imprévues », explique Pascal Bregnard, responsables du service de la diaconie dans le canton de Vaud et animateur de la journée. « Jésus nous rejoint dans nos fragilités. Il se réjouit de la rencontre. »
Témoignages, partages bibliques, ateliers divers, célébrations liturgiques, repas en commun, les organisateurs avaient tout mis en œuvre pour favoriser le dialogue et ne laisser personne sur la touche. Même des détenus du pénitencier fribourgeois de Bellechasse ont apporté leur témoignage de foi et de pardon par l’intermédiaire d’une vidéo.
Matériel
La rencontre visait à répondre à l’appel du pape François, qui ne cesse d’interpeller les chrétiens sur leur solidarité avec les plus pauvres et qui veut « une Église pauvre pour les pauvres ».
« Quand je prie, je vois le soleil »
Loin de crier à l’injustice et de se lamenter sur leur sort, les plus pauvres ont exprimé leur volonté de s’en sortir, leur espérance. Ils ont évoqué les rencontres, les témoignages reçus. « J’ai retiré les cailloux de mes godasses. J’ai retrouvé la confiance en moi. J’ai perdu beaucoup de temps dans vie. Mais quand je prie, je vois le soleil », raconte Samuel. Qui n’hésite à interpeller les participants : « Connaître la foi, c’est bien, aller à la messe, c’est bien, mais est-ce que cela suffit ? » Et d’appeler l’Église à plus de simplicité.
Les ateliers sous des formes les plus diverses, du chant, au théâtre, en passant par la vidéo, la peinture ou la réflexion théologique et sociologique, ont permis de vivre une expérience d’écoute et de partage pour confronter le vécu avec la Parole biblique et l’engagement de l’Église. Des expériences qui ont également trouvé leur expression dans une veillée de prière à l’église Sainte-Thérèse et dans la messe de clôture à l’église du Christ-Roi.
L’université de la solidarité et de la diaconie
L’université de la solidarité et de la diaconie s’inspire de l’expérience du grand rassemblement ‘Diaconia’, organisé par l’Église de France, à Lourdes en 2013, avec 12 000 participants. Le pèlerinage ‘Fratello’ organisé à Rome pour l’Année de la Miséricorde, auquel un groupe romand avait participé, s’inscrit dans la même ligne. Les Églises locales et cantonales ont aussi organisé des rencontres analogues, mais le rassemblement de Fribourg était le premier au plan romand.
Maurice Page, cath.ch
Photo: Maurice Page, cath.ch
Étienne Grieu : « La misère happe les personnes dans sa violence »
Le jésuite Étienne Grieu, président du Centre Sèvres à Paris, était l’accompagnateur de cette Université de la solidarité. Il connaît la réalité de la misère à la fois comme homme de terrain et comme théologien. Il offre une lecture spirituelle autour d’une Église des pauvres. Interview par Maurice Page, cath.ch
Lors des témoignages et des débats, un des mots les plus fréquemment repris a été celui de la confiance. Comment l’interprétez-vous ?
La confiance est un élément vital. Des personnes sont très abîmées parce qu’elles n’ont pas reçu de confiance. A l’inverse, la confiance qui dit : « je t’attends, je sais qu’il y a de belles choses en toi qui ne sont peut-être pas encore exprimées » peut relever. Ce regard est celui de Jésus, par exemple sur la femme qui vient oindre ses pieds de parfum. Du côté de son hôte Simon, le regard juge. Jésus voit en elle ce qui est beau, ce qu’elle cherche à donner. Plus globalement toute l’économie de la révélation est liée à la confiance. L’histoire biblique est celle de l’alliance de Dieu qui appelle son peuple. En retour, le peuple a du mal à faire confiance en Dieu. Mais il fait l’expérience que cette confiance lui permet de traverser les épreuves, de trouver la paix et l’unité. Les Églises sont chargées de porter, dans ce monde ci, quelque chose de cette confiance, d’indiquer le poids de la promesse qu’elle représente. Cela ouvre pour elles un rendez-vous avec les personnes très pauvres. Ce sont celles qui ont le plus soif de ce regain de confiance. Elles nous obligent à mettre au premier plan cette notion.
Les personnes les plus pauvres se réfèrent souvent au Christ en croix, couronné d’épines. Comprendre que Jésus a souffert pour elles a souvent été le point de départ d’une nouvelle étape dans leur parcours.
C’est assez mystérieux. Il me semble que lorsque nous sommes dépouillés des choses qui nous portaient jusque-là, cela peut être l’occasion de découvrir un autre point d’appui : la présence de Dieu en nous. Nous faisons alors l’expérience d’être portés par Dieu dans notre existence. Chez nombre de personnes, le fait de subir un regard méchant ou méprisant provoque en retour, la colère, la haine et la violence. Mais au moment où elles trouvent un chemin à travers les épreuves, l’espérance s’ouvre à nouveau. La rancœur n’a plus sa place, elle s’éteint. La colère et la haine sont des énergies qui n’ont pas trouvé leur voie.
Ce qui amène à la notion de pardon qui, elle aussi, revient beaucoup dans les témoignages.
La misère a ceci de particulier qu’elle pénètre en nous. Nous sommes incapables de la tenir à distance, de l’objectiver. Elle nous habite et risque fortement de nous entraîner dans sa violence. Nous y sommes comme happés. Pour les personnes qui connaissent cette violence, la question du pardon est cruciale. Le pape François a rapporté qu’une vieille femme à qui il avait dit en plaisantant « Vous n’avez pas besoin de vous confesser, vous n’avez sûrement pas fait de gros péchés » lui avait répondu : « Mais Père, sans le pardon, le monde s’écroule. » Les personnes dans la misère en ont une conscience aigüe. Je pense qu’elles sont dans la vérité. Elles savent que le mal, le malheur est passé en nous. Le pardon devient alors quelque chose de vital.
C’est aussi une manière de reformuler la question du salut souvent inaudible pour beaucoup de nos contemporains. Car elle nous oblige à reconnaître que nous sommes dans une situation de déchéance et que nous devons être relevés par quelqu’un d’autre. Cela blesse notre narcissisme. Les personnes marquées par la grande pauvreté nous disent qu’il y a des choses dont nous ne pouvons pas nous libérer par nous-mêmes. Je crois qu’elles sont les plus lucides sur la question.
Cette histoire du salut est celle de la rencontre.
La vraie rencontre consiste dans un regard posé sur l’autre sans attendre une amélioration ou un résultat que nous pourrions mesurer. Ce regard n’a pas d’autre ‘parce que’ que « parce que c’est toi ». C’est ce regard que Dieu porte sur l’humanité. La société exige que nous ayons à tout prix tel standing. Il y a un tel culte de la réussite que nous risquons de faire passer au second plan cet aspect de la relation. C’est vrai à tous les niveaux, dans la famille, les liens d’amitié, au travail, dans les associations.
Quand cette rencontre peut avoir lieu avec des personnes marquées par de grandes précarités, c’est un trésor pour l’Église. Ces personnes-là ont le don de nous arrimer dans la relation d’alliance. Parce qu’elles supportent mal toute autre relation que celle-là. C’est très fécond pour l’Église et la société.
L’accueil des plus pauvres ne se conçoit pas sans un engagement politique, pour améliorer leurs conditions de vie.
Il faut ouvrir une utopie pour faire bouger les règles du jeu. Il s’agit de construire une cité où tous, sans oublier personne, soient appelés à apporter leur contribution. C’est un projet politique qui peut se décliner à tous les niveaux : l’école, la justice, la santé, les services publics, la participation citoyenne … Pour Joseph Wresinski (fondateur d’ATD Quart-Monde ndlr), tous les projets devaient avoir le plus pauvre comme point de départ. C’est très radical. Cela doit s’appliquer aussi en Église.
Un des témoins a appelé l’Église à annoncer un Dieu qui ne soit pas un fantôme.
Nous sommes très proches des récits des apparitions du Christ après sa résurrection. Les femmes et les disciples croient avoir vu un fantôme. Jésus n’est pas quelqu’un qui revient du royaume des morts, mais un vivant. Le Vivant qui vient accomplir toutes les promesses. En lui nous trouvons notre propre voie, avec e, et notre propre voix avec x, pour avancer en réponse à l’appel que nous avons reçus en venant au monde. L’Église doit porter cette promesse-là pour toute personne.