En Suisse romande, les Centres sociaux protestants (CSP) sont devenus incontournables dans le secteur de l’aide aux plus fragiles. Dans le Jura bernois et en ville de Bienne, l’institution apporte un soutien structurel aux personnes touchées par la précarité. Interview de son directeur Pierre Ammann.

Quelle est la situation sur le front de la précarité en Suisse ?

Les CSP constatent depuis quelques années une paupérisation croissante des personnes issues de la classe moyenne qui s’est divisée en deux catégories : la classe moyenne inférieure et la classe moyenne supérieure. On observe de plus en plus que personne n’est à l’abri. A la faveur de divers imprévus qui peuvent se cumuler, comme une perte d’emploi, un burn-out ou une séparation, des gens qui n’apparaissaient pas comme des prototypes de personnes pauvres connaissent des difficultés économiques qu’ils n’avaient jamais rencontrées auparavant et auxquelles ils n’étaient pas préparés psychiquement. Ils doivent soudainement admettre qu’ils font partie de cette catégorie de la population. La précarité a donc un peu changé de visage au 21e siècle. On estime aujourd’hui qu’environ 20% des ménages ne sont pas en mesure de faire face à une dépense imprévue de plus de 2’500 francs, qu’il s’agisse de frais dentaires ou d’une réparation automobile par exemple.

Quelle aide apporte le CSP ?

Le CSP ne fait pas de distribution alimentaire comme d’autres œuvres d’entraide en Suisse. Dans certaines situations urgentes, nous distribuons parfois des bons Migros. Notre rôle est plutôt structurant. Lorsque des gens font appel à nous, notre secteur social et dettes s’attache à analyser leur situation financière, à examiner le budget de leur ménage, etc. Il s’agit d’examiner si le déficit est structurel et de quelle ampleur, d’analyser la nature et le niveau des dettes. Dans ce cadre, il nous arrive de solliciter une fondation privée et des fonds extérieurs pour un coup de pouce financier exceptionnel qui servira peut-être à payer des retards de primes d’assurance maladie ou des factures d’électricité. Pendant la pandémie, nous avons aussi pu solliciter la Chaîne du Bonheur pour aider ceux qui passaient entre les mailles du filet. Mais ces fonds sont aujourd’hui épuisés ou arrivés à échéance. Notre rôle est plutôt de soutenir les gens afin qu’ils puissent trouver eux-mêmes des solutions à leurs difficultés par un déménagement, en renonçant à la voiture ou à d’autres dépenses non essentielles. Nous nous contentons de donner des pistes, sans rien imposer.

Quelles sont les difficultés rencontrées par vos bénéficiaires ?

Si la crise économique annoncée ne s’est pas produite, l’inflation s’est accrue en début d’année, avec la hausse des primes d’assurance maladie, la hausse des coûts de l’électricité ou du prix du gaz. Or, les familles et les ménages qui n’ont pas de fortune ni de réserves ne sont actuellement souvent pas outillées pour affronter de telles augmentations. Ce qui coûte cher n’est plus ce qui était onéreux et superflu dans le passé, à savoir la télévision, les ordinateurs et les téléphones portables. Dorénavant, ce qui grève le plus le budget des ménages, ce sont avant tout les primes d’assurance maladie et le loyer. C’est particulièrement difficile pour les grandes familles, qui sont de moins en moins nombreuses, mais qui tirent vraiment la langue.

Qui sont vos principaux bénéficiaires ?

Il y a beaucoup de femmes divorcées qui élèvent seules leurs enfants et qui n’imaginaient pas se retrouver avec des comptes déficitaires. D’ailleurs, beaucoup de gens ne font pas de budget et se retrouvent avec des déficits structurels. Ils demandent une avance sur leur salaire, ce qui ne résout rien. Il y a aussi tous ceux qui ont perdu un emploi puis divorcé ou l’inverse. On constate généralement qu’un problème en amène souvent un autre. Il y a bien sûr aussi les personnes allophones qui peinent davantage à (re)trouver un emploi. Nous avons justement développé considérablement nos mesures d’intégration professionnelle et sociale ces dernières années, dans l’idée d’apporter une réponse structurelle à ce type de difficultés.

Constatez-vous une hausse des demandes ?

Nous n’enregistrons pas encore d’avalanches des demandes, mais ce n’est guère surprenant puisque durant la pandémie, les sollicitations ne nous sont parvenues que six mois à une année plus tard. Il faut savoir que les gens ne s’adressent pas à nous à la première difficulté, mais qu’ils mettent d’abord de côté les factures et les rappels. Le problème pour eux n’est pas de trouver de quoi manger, mais surtout de faire face aux factures impayées. J’ai l’impression toutefois que certains réduisent aussi leur consommation alimentaire et achètent moins de légumes, de fruits ou de viande. Ils se rendent dans des supermarchés hard-discount et achètent plutôt une boîte de thon que du poisson frais, de plus en plus cher.

« Le bras armé » des paroisses

La création du CSP Berne-Jura remonte aux années 60. Cette période de haute conjoncture a coïncidé avec l’arrivée en Suisse de nombreux travailleurs saisonniers d’Europe du sud. Certains connaissaient des destins compliqués et se trouvaient en situation de précarité. L’Église protestante des cantons romands s’est sentie une responsabilité vis-à-vis de ces migrants qui arrivaient en masse pour construire les premières autoroutes et faire tourner les usines du pays. C’est ainsi que fut créé à Genève le premier CSP doté d’un vestiaire social, où ces saisonniers pouvaient trouver des vêtements. S’y ajouta bientôt une consultation juridique afin d’aider ces personnes qui ne connaissaient pas leurs droits. Un CSP jurassien a été créé en 1957. Ce sont les paroisses qui ont mis sur pied cet organisme régional, suite à une décision du Synode. Il a débuté ses activités de manière embryonnaire en automne 1958. L’engagement de la première assistante sociale remonte à 1966, considérée aujourd’hui comme l’année de fondation du CSP Berne-Jura. Sa mission est de répondre aux détresses et problèmes sociaux du temps présent, au nom de l’Évangile. Il répond de ses activités devant les paroisses, qui contribuent de manière décisive à son financement, au même titre que les Églises réformées Berne -Jura – Soleure. Il n’a cessé de s’agrandir depuis et compte aujourd’hui une bonne centaine d’employés répartis sur ses trois sites de Moutier, Tramelan et Biel/Bienne. Tous secteurs confondus, il est en interaction avec plus de trois mille personnes chaque année et propose une palette de prestations très diversifiées et complémentaires, regroupées en secteurs : social et dettes, couples et familles, juridique et intégration professionnelle et sociale. Dans une région durement touchée par les crises de l’horlogerie et de l’industrie, le CSP Berne-Jura a particulièrement développé des mesures de marché du travail. Il propose des programmes d’intégration professionnelle ou sociale, notamment au sein de ses magasins de seconde main « Regenove », dont une nouvelle enseigne a été ouverte sur le site de Biel/Bienne en janvier.