Un rapport de la Conférence Diaconie Suisse révèle la complexité du financement des  Églises évangéliques réformées. Le soutien de l’État est de plus en plus souvent soumis à condition. Les explications de Stephan Schranz qui a dirigé le groupe de travail à la base du document.

 

Comment le financement des Églises a-t-il évolué au cours des dernières années ?

Le groupe de travail « Bases et recherche » de Diaconie Suisse s’est penché sur le financement de la diaconie par les pouvoirs publics et donc, de manière générale, sur le financement des Églises. Je parle volontairement « des Églises” au pluriel, car leur financement par les pouvoirs publics diffère d’un canton à l’autre. On peut constater des changements de tendance dans trois directions : premièrement, l’Église est de moins en moins considérée comme faisant partie de l’État. Deuxièmement, le cofinancement de l’institution par l’État est en diminution. Enfin, le subventionnement de l’État est de plus en plus souvent conditionné à certaines prescriptions.

 

Certaines Églises doivent en effet désormais rendre des comptes à l’État, ont-elles perdu de ce fait leur indépendance, et de quelle manière ?

Les prescriptions et le contrôle étatique vont de pair. L’aspect positif de l’obligation de rendre des comptes est qu’elle rend les activités de l’Église plus visibles. Le contrôle de la gestion financière permet également d’évaluer les prestations par rapport aux prescriptions, ce qui est judicieux et peut encourager et consolider la collaboration entre l’Église et l’État. Mais l’indépendance disparaît lorsque les deux parties ne sont plus d’accord sur les prestations à fournir ainsi que sur leurs coûts, et lorsque l’Église est en outre tributaire des ressources  financières accordées par l’État. Des prescriptions concernant les prestations ou l’établissement de catalogues étroits limitent la marge de manœuvre à court et moyen terme des Églises, dont le souhait est de répondre à la détresse et aux besoins des êtres humains.

 

Comment l’État intervient-il dans la gestion des Églises ?

Par le biais de dispositions légales, d’affectations négatives ou positives et de contrats de prestations de différentes natures. Nous avons consigné à ce sujet sous la forme d’un tableau (voire pages 6 et suivantes) différents types d’intervention dans notre document “Financement public de la diaconie”

 

Quelles sont les Églises les plus touchées ?

Il est impossible de dire quelle Église est le plus fortement impactée car il n’est pas adéquat de quantifier quelque chose qui est difficilement comparable. Ce qui compte, c’est la marge de manœuvre que l’État laisse à l’Église dans ses prescriptions. C’est pourquoi nous plaidons dans notre document pour la négociation de prescriptions aussi ouvertes que possible, qui décrivent en soi l’utilité culturelle et sociale de l’Église.

 

Est-ce la fin de la séparation des pouvoirs ?

Je dirais plutôt que c’est la conséquence de la séparation des pouvoirs. Une Église qui peut se mouvoir avec une certaine sécurité financière et un ancrage légal se trouve moins dans la ligne de mire de la politique qu’une Église qui doit sans cesse solliciter des fonds de l’État.

 

Les Églises totalement autonomes financièrement, comme celles de Genève et de Neuchâtel, sont-elles menacées par un manque de moyens financiers ?

Oui, à mon avis, elles le sont. Les Églises qui se sentent obligées d’assumer leur mission sociale devraient recevoir des moyens financiers pour cela. A mon avis, c’est l’État social qui doit s’occuper de la mission sociale en collaboration avec chaque citoyen et chaque citoyenne. L’État social ferait bien d’associer les Églises à cette tâche et de les financer en conséquence. Il est certainement possible pour les Églises de trouver des moyens financiers autres que ceux de l’État pour remplir leur mission sociale. Mais là aussi, il est fort probable que leur donateur conditionne son soutien financier à certains objectifs.

 

Les Églises deviennent-elles des prestataires parmi d’autres ?

A mon avis, ce sera certainement le cas si l’Église n’est plus activement impliquée dans l’État.

 

Quel est le risque pour la société ?

Il est difficile d’évaluer le risque, car la société se définit par de multiples facteurs. L’Église en tant qu’institution et par le soin qu’elle apporte à la spiritualité, qui se manifeste dans l’action diaconale de ses membres, ne représente que deux de ses nombreux facteurs. L’absence de ces derniers a certainement des répercussions sur la société.

 

Les Églises risquent-elles de perdre de vue leur mission diaconale ?

De mon point de vue, cette question vise à établir par quoi l’Église se laisse guider. Est-ce que ce sont les missions de l’État pour lesquelles des moyens financiers sont alloués ou est-ce qu’il y a aussi une place pour l’engagement prophétique qui n’est pas conforme à la majorité. Les deux ne s’excluent pas forcément s’ils sont orientés vers la vision et la mission de l’Eglise.

 

Les Églises communiquent-elles suffisamment ?

« Faites le bien et parlez-en ». On ne mentionnera jamais assez cet adage. Des études prouvent que l’offre diaconale de l’Église incitent les gens à payer l’impôt ecclésiastique. En conséquence, elle ne sera jamais assez visible.

 

Les Églises doivent-elles réaffirmer leur engagement ?

La valeur sociale de l’Église est à mon avis trop peu reconnue. Dans le domaine de la santé, la spiritualité est reconnue comme un facteur important dans les processus de guérison. De mon point de vue, la spiritualité vécue contribue à un comportement social dans la société. Il est tout à fait possible de renforcer et d’affirmer un engagement de l’Église qui encourage ces processus.

 

Le rapport préconise un modèle de subvention similaire à celui utilisé dans le domaine de la culture. Est-ce la solution idéale ?

La comparaison avec la culture reprend une figure d’argumentation qui peut aider à conférer à l’Église des missions avec une marge de manœuvre. Mais cela implique une confiance dans l’Église, à savoir que la mission spirituelle et socio-diaconale sera bel et bien assumée avec l’argent alloué. De même qu’un artiste a carte blanche pour créer une œuvre d’art, l’Église devrait disposer des moyens nécessaires pour faire vivre la diaconie sociale. Le résultat doit toutefois être visible et reconnaissable, ce qui renforce encore la confiance dans l’Église. “Vous les reconnaîtrez à leurs œuvres”, vivons ce principe de Jean 2, 1-6 !

Document “Financement public de la diaconie”: https://diakonie.ch/wp-content/uploads/2023/05/Orientierung-Oeffentliche-Finanzierung-f.pdf