En Suisse romande, les Églises réformées Berne – Jura – Soleure proposeront dès janvier des cours « ensa » permettant de prodiguer les premiers secours en cas de difficultés psychiques. Une formation ouverte aussi aux membres de l’Église réformée fribourgeoise.

De nos jours, la maladie mentale est encore souvent un sujet tabou. « Il est toutefois important de savoir reconnaître les situations de crise psychique », souligne Bettina Beer, qui dispense des cours de premiers secours « ensa » en Suisse romande. Or souvent, l’entourage ne sait pas comment réagir. On manque de mots. On détourne le regard ou on minimise.

Une absence de réaction inquiétante lorsque l’on sait que la prévalence de la souffrance psychique est très élevée en Suisse. Dans notre pays, une personne sur deux souffrira au moins une fois dans sa vie d’une maladie psychique ou traversera une crise psychique.

L’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) s’est alliée à la fondation Pro Mente Sana pour promouvoir les cours ensa auprès des Eglises cantonales. Dans le cadre des activités proposées par les Églises, il arrive en effet que le personnel et les bénévoles en paroisse se trouvent confrontés à des personnes en situation délicate sur le plan psychique.

« Côté francophone, les inscriptions sont en cours pour le premier cours qui sera dispensé en janvier 2024 à Corgémont, sur le territoire des Eglises réformées Berne – Jura – Soleure », explique Bettina Beer. L’Office protestant de la formation (OPF) organise également des cours pour toute la Suisse romande, qui ont lieu sous forme de webinaire.

A noter que la formation de janvier est ouverte également au personnel ainsi qu’à d’autres personnes engagées au sein de l’Église évangélique réformée fribourgeoise qui pourront également suivre des cours ensa en langue allemande auprès des Eglises de Refbejuso.

A l’instar de la formation de samaritain obligatoire pour l’obtention du permis de conduire, les cours de premiers secours « ensa » doivent fournir aux participant.e.s les connaissances et le savoir-faire nécessaires pour reconnaître les situations délicates et soutenir les personnes concernées jusqu’à ce que l’aide professionnelle puisse prendre le relais.

Sensibilisation

« Avec un mimimum de connaissances, on est plus sensibilisés aux symptômes : si une personne est plus fatiguée que d’habitude, en retrait, déprimée ou dit entendre des voix, cela peut nous mettre la puce à l’oreille », note Bettina Beer. L’idée n’est pas de poser un diagnostic, mais de savoir comment aborder la personne et comment évoquer avec elle ses difficultés.

Ce qui est important, c’est de savoir reconnaître les situations dangereuses. Dans le cas d’une dépression par exemple, s’il y a des pensées suicidaires ou une tentative de suicide, il s’agit de mobiliser les secours rapidement. Une crise de panique en revanche, peut ressembler à une crise cardiaque. Faut-il appeler l’ambulance ou juste aider la personne à se calmer ?

Mais l’idée de cette formation est aussi de sensibiliser les personnes qui la suivent à leur propre santé mentale, en leur permettant d’identifier des maladies ou des symptômes. Si l’on est  toujours dans le rouge, que dormir est difficile, qu’il y a de l’hyperactivité, alors il y a un danger de burn-out. En intervenant le plus tôt possible, on limite la durée de la guérison.

Les cours « ensa » sont la version suisse du programme australien «Mental Health First Aid», developpé il y a plus de 20 ans dans cette région d’Océanie. En Suisse, la formation a été lancée en 2019 par la fondation Pro Mente Sana qui a rédigé des cours en quatre langues. Le terme «ensa» provient quant à lui d’une langue aborigène et signifie «réponse».

En Suisse romande, la première formation dispensée dans le cadre de l’OPF était destinée à un public en contact avec les jeunes et les adolescents, des ministres jeunesse ou des catéchètes notamment. Il s’agissait de les sensibiliser aux addictions aux jeux vidéo ou aux réseaux sociaux ou de repérer des troubles du comportement alimentaire.

Les cours donnés en janvier 2024 viseront plutôt les adultes. Il s’agira d’une introduction générale à la santé , à la maladie psychique. La formation développera les manières d’aborder une personne en souffrance, qu’elle soit aux prises à la dépression, à une crise d’angoisse, à une addiction que ce soit à l’alcool ou à d’autres substances.

Écoute

La crise sanitaire du coronavirus a mis sur le devant de la scène les problèmes de santé psychiques. Et le 10 octobre célèbre la Journée mondiale de la santé mentale comme un droit humain. La population est aujourd’hui davantage sensibilisée et ose plus aborder cette thématique, relève Bettina Beer. Malgré tout, la stigmatisation des personnes atteintes dans leur santé mentale reste très forte. A la première occasion, elles peuvent faire l’objet d’un licenciement ou d’une mise à l’écart, tant sur le plan professionnel que privé.

Bien que difficile à chiffrer, faute d’études comparables sur la question, la prévalence des problèmes psychiques semble en augmentation en Suisse. Différents facteurs, génétiques, neurobiologiques ou les accidents de la vie peuvent les favoriser. Le style de vie actuel, combinant stress et pression sociale ou professionnelle, joue assurément un rôle.

A côté de la société civile, les Églises ont assurément leur carte à jouer dans ce domaine. Traditionnellement, la santé et le bien-être sont au cœur du message évangélique. Jésus prend soin des malades de toutes sortes et certaines guérisons miraculeuses concernent assurément des maladies psychiques, comme dans le cas du possédé qui entend des voix.

Par ailleurs, les personnes qui souffrent d’une maladie psychique se retrouvent souvent aux prises avec des questions existentielles de type spirituel, souligne encore la formatrice. La maladie ébranle souvent les personnes concernées dans leurs valeurs et leurs convictions. « En tant qu’Église, nous avons un message et un soutien à apporter », ajoute Bettina Beer. « Souvent, les soins donnés en psychiatrie sont limités dans le temps. En complément des soins médicaux, les Églises ont justement la possibilité d’offrir ce temps, ainsi qu’une écoute du type de celle développée notamment par les services d’aumônerie dans les hôpitaux. »